La violence, sous toutes ses formes, me touche particulièrement. Ça peut paraître à la fois affreusement commun et terriblement inéluctable. Presque un fait établi sur lequel on ne pourrait interférer.
Mais au-delà de cet effet immédiat de répulsion et malaise, je cherche à décortiquer en profondeur les raisons sous-jacentes et les mécanismes qui s'y infiltrent. Le nez plongé dans des lectures engagées et les oreilles traînant dans des podcasts acérés, j'ai petit à petit aiguisé ma vision de ces réalités empreintes de violences, plus ou moins visibles, pas toujours flagrantes mais toujours bien trop présentes.
J'ai notamment travaillé sur les violences faites aux femmes dans cet article.
Je vous propose ici un récit en images de mécanismes qui me semblent éclairants dans des situations si sombres :
PERSONNE N'EST VIOLENT
La violence n'est à mon sens pas une essence. Personne n'est violent ou pour être moins catégoriquement peu de personnes pensent l'être réellement. Une grande partie des médias dépeignent les personnes violentes comme des monstres, ce qui n'aide à s'identifier comme auteur de violence. Cette pensée est d'ailleurs si inconfortable qu'on va naturellement chercher à l'éviter. À travers différents biais (le biais d'auto-complaisance, le biais de confirmation, la croyance en un monde juste), on va chercher à se raconter une autre histoire, plus à notre avantage et surtout moins en responsabilité par rapport à la situation. La violence peut également être impensé car elle a été intégrée en tant que victime ou témoin de violences ou parce qu'elle a été normalisée à travers des traitements médiatiques édulcorés. Par ailleurs, la violence est excusée voire encouragée quand elle provient d'un garçon ou d'un homme. Enfin, selon notre place dans la société, on est perçu comme plus ou moins légitime pour exprimer sa violence et pour déshumaniser l'autre. Ce n'est pas parce qu'une violences est banalisée qu'elle est n'est pas à questionner, c'est même l'opposé.
L'AMOUR SOUS CONDITIONS
La violence peut s'immiscer de manière insidieuse dans les interstices d'une relation qui est censée être aimante.
Pour vivre en société, on avance le plus souvent masqué, avec un masque social plus ou moins lourd selon nos privilèges. Dans certains cas, on peut se sentir à l'étroit chez soi. Enfant ou adulte, une personne censée nous aimer peut nous faire comprendre qu'on n'est pas assez. Pour se protéger, on peut en venir à se suradapter avec des exigences à remplir et des comportements à proscrire. La relation n'est alors plus basée sur la réciprocité mais sur la docilité. Pas facile d'être soi-même avec l'ombre d'un autre logée à l'intérieur de soi. Est-ce que la distance ou l'absence d'une personne censée vous aimer vous permet enfin de respirer ? On ne devrait jamais avoir à s'oublier pour être aimé. Si c'est le cas, partez.
FAIRE DES VAGUES
On demande aux personnes victimes de surtout, surtout, surtout ne pas faire de vague. Mais la réalité c'est que la vague est déjà passée et encore souvent bien trop présente. Une victime de violences ne fait pas de vague, elle la subit et parfois décide de la verbaliser. Non seulement les victimes ne sont pas reconnues comme telles mais en plus, on leur demande d'être "au-dessus" de tout ça tout en imposant le silence. C'est presque vulgaire, carrément de mauvais goût, de parler de violences, surtout en tant que victime.
Chers médias, arrêtez donc de donner de la place (tant de place !) aux auteurs de violences et écoutez plutôt ce que les personnes victimes de violences ont à dire (si elles le souhaitent). Cher.e.s tous.te.s, tout pareil avec un supplément ❤️ pour les personnes victimes. L'intime est politique.
GOUTTE À GOUTTE
Attention ! Les violences conjugales ne sont pas toujours si flagrantes. En réalité, la violence est un océan. L'agresseur exerce pouvoir et contrôle goutte à goutte dans un bain de banalités. Les actes répétés progressivement et de plus en plus fréquemment peuvent amener la victime à douter. L'absence de violence apparente peut simplement être la preuve de la suradaptation de la victime (pour éviter les violences). La victime agit petit à petit au service de l'agresseur. La victime plonge alors dans l'isolement, le dénigrement, l'insécurité et la peur. Le minimum c'est d'écouter et de protéger les victimes de violences. L'intime est politique.
Pour aller plus loin sur le contrôle coercitif et la stratégie de l'agresseur, je vous invite à écouter l'épisode 78 de l'excellent podcast les Couilles sur la table de Binge Audio "violences conjugales, banalité du mâle" dans lequel sont invités Gwénola Sueur et Pierre-Guillaume Prigent.
Je vous recommande également à vous plonger dans le récit a priori innocent de Judith Duportail à travers le podcast "Qui est Miss Paddle ?"
Enfin, je vous encourage à lire "tant pis pour l'amour" de Sophie Lambda pour une approche plus illustrée.
LE TERREAU DE VIOLENCES
L'enfance est le terreau de violences. Les expériences répétées pendant l'enfance vont forger des lunettes de normalité. Si on regarde de plus près, on s'aperçoit que ces lunettes sont teintées par une dépendance à l'adulte et un besoin d'attachement de l'enfant. Une relation maltraitante sera ainsi privilégiée à une relation inexistante.
Victime ou témoin de violences, un enfant n'a pas la capacité de prendre du recul sur ce qu'il vit. Il va ainsi être amené à développer des croyances telles que "amour = violence" ou "conflit = violence". À savoir que plus l'enfant est jeune, plus son cerveau est vulnérable. Ce qui est trop douloureux est généralement nié. Pour se protéger, l'enfant va se couper de ses émotions. La stabilité d'un schéma relationnel (même délétère) est plus rassurante qu'une vision modifiée de la réalité. Un enfant, victime ou témoin de violences, va avoir tendance à s'inscrire dans leur continuité en tant qu'auteur ou victime de violences et participer à la reproduction de ce schéma.
Toutes les victimes ne deviendront pas par la suite auteurs de violences mais tous les auteurs de violences en ont d'abord été victimes. Brisons ce schéma des graines semées aux effets qui peuvent germer.
LES SOUFFRANCES
Les souffrances individuelles sont facilement discréditées et délégitimisées. En hiérarchisant les souffrances, on va pouvoir les minimiser et silencier les personnes qui en font les frais. L'angle physiologique peut être également exploité pour expliquer de manière monocausale ces maux et ainsi proposer une solution simpliste et souvent purement médicale. Enfin, le monde du développement personnel peut nous encourager à devenir "une meilleure version de soi-même" (en sous-entendant que la version actuelle ne serait pas suffisante) et ainsi à nous responsabiliser face à nous souffrances. De manière générale, la fable capitaliste nous enjoint de performer dans tous les domaines, y compris le bien-être. On nous sert sur un plateau une ode à la résilience qu'on instrumentalise pour justifier voire glorifier les souffrances dont on sortirait forcément grandi (et jamais brisé sous peine d'être jugé). Au final, c'est très pratique de pathologiser les individus, ça permet d'éviter de pathologiser la société. Et si, avant d'être un symptôme individuel, c'était le résultat d'un syndrome collectif ?
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