LA MOBILISATION GRAPHIQUE

· La pratique

Après avoir exploré pendant plus de 7 ans le "comment" pratiquer la facilitation graphique (si vous êtes curieux, voici mon histoire avec la facilitation graphique), je m'aventure de plus en plus à questionner le "pourquoi" ou plus exactement pour quoi, pour quelles causes et enjeux.

Aussi m'est venue l'idée de bricoler ce terme de "mobilisation graphique" pour appréhender comment créer spécifiquement des visuels qui amènent à la réflexion et qui poussent à l'action.

Voici mes expérimentations engagées que j'ai réalisées cette dernière année :

Ces visuels sont à retrouver dans mes travaux concernant les violences faites aux femmes et les inégalités femmes-hommes, sur mon blog J'ai lu ça, sur le site Frottis Chéri que j'ai imaginé et illustré et de manière générale sur mon compte Instagram.

Je vous propose ici une marche à suivre pour créer des visuels (ou autre élément de communication) qui cherchent à créer le débat, questionner ou fédérer autour d'une cause qui vous est chère.

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Il s'agit donc dans un premier temps de déterminer précisément la cause qui vous tient à coeur et pourquoi elle est si importante pour vous. Dans un second temps, il est intéressant d'appréhender une personne type qui serait à l'opposé de ce que vous cherchez à défendre et de se questionner sur les raisons de ce rejet. Une fois ces deux profils esquissés, prenez un moment pour définir ce qui les sépare mais aussi ce qui les rassemble.

Évidemment, on part du principe que la personne en face est plutôt dans le dialogue et de bonne volonté. Pour ceux qui seraient profondément de mauvaise foi, désolée mais a priori on ne peut rien pour eux ! Étant donné que je parle principalement de supports diffusés en ligne, vous ne pourrez pas contrôler l'audience que vous touchez, il y aura donc toujours un risque de troll (et plus c'est polémique, pire c'est !)...

J'aurais pu simplement vous proposer un personnage qui n'en a simplement rien à faire de votre sujet. Ce choix contrasté est tout à fait intentionnel et je vais vous exposer mon point de vue :

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Si on sépare schématiquement une population par rapport à son avis sur un sujet, on peut obtenir d'un côté les convaincu.e.s (dont vous faites a priori partie), les mitigé.e.s et les réfractaires. L'avantage en structurant son message à l'attention des réfractaires est double :

- Vous serez d'autant plus vigilant.e et intransigeant.e (et irréprochable) sur le langage adopté et sur la solidité du discours

- En visant les réfractaires, votre discours arrivera aussi aux oreilles des mitigé.e.s qui seront surement plus prompts à relayer votre message et pourront le partager auprès des réfractaires. Cette reformulation du message d'un personne a priori moins engagée peut par ailleurs être plus audible pour les plus réfractaires. Un message, deux relais potentiels : double efficacité ! Bref, même si on ne force jamais personne à s'intéresser à un sujet, il y a tout intérêt à viser les plus frileux.

Une fois la cause pour laquelle vous cherchez à oeuvrer clairement définie et mise en perpective, penchons-nous sur ce qui existe déjà sur le sujet :

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L'heure du bilan a sonné : tirez un trait au milieu d'une feuille et inscrivez d'un côté ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans les contenus existants (qu'il s'agisse ou non de visuels). Ensuite, profitez de ce qui fonctionne pour vous en inspirer en étant complémentaire et cherchez à comprendre ce qui ne fonctionne pas pour vous différencier.

Ces éléments pourront vous permettre de poser des bases sur la bonne posture à aborder :

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Je cherche à m'inspirer de la Communication Non Violente, aussi communément appelée CNV (un article dessiné à ce sujet sur mon blog J'ai lu ça), dans les visuels que je crée.

La ligne de conduite que je préconise c'est de ne pas se valoriser ni dévaloriser l'autre. Ça peut se résumer en ne pensant pas ou en ne disant pas "regardez comme on fait / est bien" et "regardez comme vous êtes nul / faites mal". Vous n'êtes pas là pour faire l'étalage de vos trophées ou énumérer les fautes présumées de la personne en face. Même si ce n'est pas simple et encore moins dans un contexte engagé, il est nécessaire d'éviter à tout prix les jugements. Cela desservirait votre message dans un sens comme dans l'autre.

Veillez à conserver une approche réellement bienveillante qui ne soit donc ni moralisatrice ni culpabilisante.

Une fois que la posture est claire et assumée, il est temps de déterminer votre réel objectif :

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Dans le cadre d'un contenu engagé, deux grands objectifs semblent se dégager : un objectif de compréhension qui va chercher à fournir une information et un objectif d'action qui va proposer une solution. D'un côté, la personne en face va être en mesure d'apprendre ou de comprendre quelque chose et de l'autre, elle pourra ou voudra agir. Entre ces deux propositions, une infinité de variations et pour toutes des retombées positives.

L'autre discipline, en plus de la CNV, qui m'inspire beaucoup, c'est la rhétorique :

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On retrouve trois grandes dimensions dans l'art de la rhétorique tel que l'a défini Aristote : l'ethos, le logos et le pathos. L'ethos est relatif à la crédibilité de l'orateur et est donc peu pertinent dans la création de visuel. Certes votre trait peut être mondialement connu et reconnu mais désolée, on va ici partir du principe que ce n'est pas le cas ! Le logos est quant à lui relatif au côté rationnel du discours et le pathos à l'aspect émotionnel. C'est sur ces deux derniers que nous allons nous concentrer pour concocter un savant mélange, croisé avec l'intention dessinée dans la partie "objectif" vue précédemment :

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Voici ci-dessus donc un panorama (non exhaustif) de formats pour véhiculer vos idées. À vous de piocher ce qui vous semble le plus pertinent, éventuellement de mélanger quelques éléments et d'assaisonner le tout d'un peu de métaphores pour jouer sur la similarité et la familiarité ainsi que des oppositions pour contraster le tout !

Je ne vous cache pas que cette modélisation d'apparence binaire peut sembler rassurante mais dans la réalité, émotionnel et rationnel s'entrecroisent. Je vous propose donc d'aller plus loin en m'inspirant de la lecture du livre le pouvoir rhétorique de Clément Viktorovitch :

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Un des éléments de ce livre qui a fait écho à ma pratique, c'est l'effet de cadrage : la façon dont des propos vont être énoncés (ou imagés) va avoir un impact sur les émotions qu'ils vont générer. Pour ce faire, 6 leviers sont répertoriés :

- La proximité : les personnes recevant le message ont besoin dans un premier temps de se sentir concernées par la problème ou les enjeux soulevés. Il est donc important d'apporter des éléments d'identification auxquelles ces personnes pourraient se référer.

- L'intensité : pour se pencher sur un sujet, encore faut-il en saisir l'ampleur notamment à travers des chiffres ou des symboles clairement identifiables.

- L'identité : les enjeux doivent également pouvoir être incarnés, qu'il s'agisse d'incarner le problème ou la solution.

- L'agentivité : pour se sentir en capacité d'agir, il est nécessaire de transmettre l'idée que les récepteurs du message peuvent également être porteurs de solutions et leviers d'action.

- La similarité : pour mieux appréhender un enjeu, il peut également être intéressant de le rapprocher à d'autres situations, modèles, vécus ou imaginaires. Les métaphores peuvent sembler simples mais, bien choisies, elles se révèlent très puissantes.

- La matérialité : rien de plus parlant qu'un élément qui semble palpable. Il est essentiel de percevoir concrètement les enjeux et ne pas avoir l'impression de s'engager dans un concept fumeux. Pour cela, il ne faut pas hésiter à fournir des détails (sans pour autant ensevelir le propos dans des détails, tout est une question de dosage !).

Les émotions ont un caractère transformateur si on sait bien les doser et les utiliser :

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Ce qui vient d'être détaillés avec ces 6 derniers points relève de l'effet de cadrage. Cet effet de cadrage habilement utilisé va pouvoir provoquer une émotion qui peut générer une tension qui à son tour pourra donner lieu à un passage à l'action.

Et c'est précisément la création de cette tension qui nous intéresse ici. Dans son livre, Clément Viktorovitch appelle ce basculement un pivot émotionnel et il en cite trois :

- le pivot peur-solution qui s'appuie sur la rhétorique de l'anxiété

- le pivot espoir-réalisation qui cherche à susciter de l'enthousiasme

- le pivot indignation-mobilisation qui a vocation à fédérer autour d'une injustice

Pour finir, je souhaiterais mettre en perspective cette réflexion avec des apports issus du travail de The Ink Link, une association avec qui j'ai eu le plaisir de travailler et dont j'admire la démarche et le travail sur le terrain :

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Pour qu'un message soit culturellement adapté, il faut qu'il puisse répondre à ces 3 enjeux :

- Un message acceptable délivré au "bon moment" avec une audience qui est mature par rapport au sujet, avec un ton adapté

- Un message compréhensible avec des codes graphiques et un humour adaptés. De manière générale, c'est toujours une bonne idée de questionner ce qui semble pour nous relever de l'évidence !

- Un message mémorisable qui permet l'identification tout en s'appuyant sur l'imaginaire collectif pour créer de l'émotion et pourquoi pas de la surprise.

J'espère que tous ces éléments pourront vous inspirer et engager autour de vous.

N'hésitez pas à me partager les personnes et travaux engagés qui vous inspirent, je suis toujours ravie de découvrir de dénicher de nouvelles pépites !

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